Synopsis
À la faveur d’une rencontre amoureuse avec un autre homme, le narrateur s’abandonne au plaisir d’une relation qui le frustre autant qu’elle entretient en lui le processus d’écriture. Comédien navigant de projet miséreux en casting raté, il tente de brosser son propre portrait au sein d’une génération de pré-trentenaires désabusés qui traînent leur esprit bohème au sein d'une ville provinciale et bourgeoise. Mais la fin de cette relation avec le personnage nommé S. met en danger l’écriture du roman. C’est alors que survient un étrange fantôme, auprès duquel le narrateur vient chercher conseil. Et la célébration de la trentaine, comme un morne couperet, décide de la fin du livre.
Le roman
Roman-hommage à Hervé Guibert, Un abandon s'inspire librement de certaines thématiques de l'écrivain (chronique sur le vif, autofiction, vérité et mensonge, incarnation, métatextualité, work in progress)
pour constituer un pastiche fragmentaire.
Un extrait
" Le magasin de bonbons est lumineux et reluisant comme un hôpital. Le rouge des fraises se décline en colonnes généreuses. Le vert et le rose des crocodiles gélatineux qui ne pleurent jamais – ou bien des larmes de caramel – le brun laiteux des nounours de chocolat dont les entrailles renferment une guimauve trop suave, le jaune fulgurant des bananes factices, le violet profond des fausses mûres granuleuses, tout ce bestiaire de couleurs se détache sur les murs blancs comme la promesse d’un futur plus doux et plus sucré, un à venir de la mollesse et du fondant, un terrain propice aux papilles d’arc-en-ciel et aux caries les plus vicieuses.
Le magasin de bonbons est le repaire des grandes personnes en mal d’enfance. On n’y croise aucun gosse, jamais. On n’y côtoie que des joies désespérées, des faciès sucrophages perdus dans leur salivation pavlovienne. On lit sur le visage des grandes personnes dévoreuses de bonbons tout le malheur d’être arrivées trop tôt à l’ère des responsabilités. Les victimes de l’immaturité n’ont pas de descendance, pas non plus de désir d’enfant.
J’ai mon sac transparent de sucreries à la main ; quand je viens ici, je choisis les bonbons par couleur, je suis un esthète du mélange : les bruns pour la cacahuète, le chocolat, le caramel, le café ; les bleu-vert se limitent à la menthe, à la pomme, aux petits pois anisés ; les jaunes tournent autour de la banane, plus rarement du citron. La variété la plus intéressante, on la trouve dans le rouge : le rouge est la garantie des vrais bonbons au goût de rien, au goût de bonbon ; les formes se multiplient, les consistances également, et cependant le bonbon rouge constitue une race à part : il est le seul à posséder ce goût irremplaçable et parfaitement écœurant de bonbon rouge, un truc unique au monde, une sensation de bonheur gustatif, la morphine du chimique, la Rolls-Royce des saveurs artificielles, le nirvana des plaisirs cancérigènes. Je suis là avec mon sac qui se remplit de rouges de toutes sortes, des durs, des mats, des pailletés, des translucides, des qui vous attirent la prunelle, des qui vous chatouillent la langue à distance, des qui vous inquiètent à l’avance la cavité stomacale. J’hésite à parsemer ma collection rouge d’un nouveau type de bonbons rouges : des lèvres pulpeuses de gélatine, presque obscènes dans un magasin de sucreries, des appels au baiser appelés justement rouges baisers, j’hésite, cela devrait me plaire pourtant, ces histoires de lèvres, mais j’y vois un piège infâme, une accoutumance cachée, j’ai peur d’y prendre goût et de ne plus manger que cela : des lèvres, de me faire dévorer la bouche de rouges baisers, d’y perdre mon âme, de me noyer dans le gouffre affectif des baisers frelatés. "
L'édition
Un abandon, roman de Laurent Kiefer (2005)
Dunombril ° 002
comporte
. Le roman (284 p.)
. Les bords-cadre :
commentaires, chapitres écartés, journal de création (42 p.)
ISBN ° 978 2959 513 008
sortie le 27 septembre 2024